La 7ème Armée américaine, sous la menace d'encerclement évacua au début de janvier 1945 le nord de l'Alsace. Pendant plusieurs jours une file interminable de paysans avec leur famille, fuyant, affolés, devant les Allemands qui avaient repris l'offensive, traversèrent le village en direction des Vosges. On se croyait revenu aux sombres jours de 1940.
Heureusement le front se stabilise sur la Moder, à 4 km au nord de Kirrwiller, et pendant quatre mois, la population qui s'était accrue de quelque 300 réfugiés, partagea avec les soldats Yankee la vie dangereuse et trépidante de la ligne de feu.
La méfiance réciproque du début fit bientôt place à une entende cordiale. Le troc s'établit en maître. Le ranger du Texas ne se lasse pas de vanter la qualité du Quetsch et du Kirsch et la sinistre figure de Joe l'Indien se dérida quand il en avait pris un bon quart. Le laitier de Brooklyn profita de cette excursion forcée en Alsace pour enrichir sa collection de souvenirs. Et le soir à la lumière d'une chandelle fumeuse, la famille du paysan savourait du corned-beef, près à l'instigation de ses hôtes, goûtait une barre de chocolat et mâchait une boule de chewing gum.
Mais un beau matin le canon tonna plus fort que de coutume, l'offensive qui devait mener les armées alliées au cœur de l'Allemagne était déclenchée.
Peu à peu tout rentra dans l'ordre. Les meubles abimés furent rafistolés, les arbres coupés furent remplacés par de jeunes plants, les actes d'état civil, sauvés de justesse d'une incinération sans fleurs ni couronnes, regagnèrent leur casier, le chef des F.F.I. décousit à regret ses galons et retourna à son métier de hongreur, le maire intérimaire à ses fonctions de garde-barrière.
Et aujourd'hui ?
Le village a retrouvé son calme, les haines nées sous l'occupation se sont apaisées. Et tel ou tel qui se croyait prédestiné à commander aux autres a repris la charrue en main.
L'étranger qui pour la première fois parcourt la large rue de la localité est agréablement frappée par la propreté et l'ordre qui règnent partout, par le pittoresque des vielles maisons paysannes, du type alsacien, dont plusieurs illustrent des études sur l'Alsace et des cartes postales répandues de par le monde. N'attachons pas une trop grande importance au qualificatif de " Musterdorf", village modèle, que l'occupant lui à attribué car ses décisions étaient souvent dictées par des motifs d'ordre politique. Bien des améliorations, dans tous les domaines de l'activité agricole sont à réaliser encore pour mériter le nom de village moderne.
Toujours est -il, que c'est un beau village, habité par une paysannerie de vielle souche, tenace et patiente, routinière comme le sont la plupart des petites gens de la campagne. Si le progrès se trouve quelque peu paralysé, il n'en continuera pas moins, par la force des choses, à s'infiltrer lentement, même dans l'exploitation du paysan le plus réfractaire.
Source: Monographie agricole de la commune de Kirrwiller; Louis Wacker instituteur à Bischheim, juillet -août 1946
Un groupe de réfugiés accompagné par l’armée américaine passant devant le Restaurant de la Charrue début janvier 1945. (36, rue Principale)
1945-2015 : commémoration pour le 70ème anniversaire de la Seconde Guerre mondiale. KIRRWILLER début janvier 1945